On vit une époque formi, formi, formidaaaable !
Le conflit social des plateaux-repas n'en finit plus d'agiter
l'Angleterre.
Trois jours après la grève de solidarité du personnel de
British Airways qui a repoussé le départ de plus de 70 000 passagers, les pratiques sociales de Gate Gourmet, la société
américaine qui fournit les repas aux passagers de la compagnie aérienne
britannique, a provoqué un nouveau tollé syndical hier. La publication
par le quotidien britannique Daily Mirror d'une note confidentielle
interne à l'entreprise laisse en effet penser que Gate Gourmet a
volontairement cherché à provoquer un mouvement de grève afin de
licencier ses 670 employés pour les remplacer par du personnel moins
cher.
Tout a commencé mercredi dernier quand quelques centaines
d'employés de la plus importante société britannique de plateaux-repas
pour l'aviation civile décident d'organiser un sit-in de protestation
dans la cantine de la firme. Ces salariés, en grande majorité des
femmes d'origine indienne de la région de Southall, près de l'aéroport
d'Heathrow, protestent contre la dégradation de leurs conditions de
travail. Au bout de deux heures, estimant que leur action est illégale,
les cadres de la société annoncent au mégaphone que les grévistes sont
licenciés sur-le-champ. Egalement virés, tous les employés absents, en
arrêt maladie et en vacances.
Le lendemain, un millier d'employés de
British Airways arrête le travail par solidarité, risquant eux-mêmes de
perdre leur emploi car l'Employment Act de 1990 interdit toute grève de
solidarité avec d'autres travailleurs de firmes extérieures.
Aujourd'hui, il semblerait que cette affaire ait été préparée dès
septembre 2004 par les cadres de la maison mère américaine, Texas
Pacific Group.
La note interne publiée par le Daily Mirror énumère en
effet les différentes étapes d'une méthode de gestion de l'entreprise
destinée à limiter les coûts salariaux : «Recruter et former [...] de
nouveaux employés. L'annoncer aux représentants syndicaux, provoquer
une grève spontanée, licencier les grévistes et les remplacer par les
nouvelles recrues préalablement formées.» Le mémo estime à quinze
semaines le temps nécessaire pour mettre en pratique une telle
stratégie. Comme par hasard, Gate Gourmet a créé voici exactement trois
mois une filiale, Versa Logistics, chargée de recruter des saisonniers
d'Europe centrale à des salaires moins élevés que le personnel
permanent. «Nous avons la certitude que la société a tout manigancé.
Ils ont dû prendre leur décision d'agir quand ils ont perdu leur
contrat avec Virgin Atlantic», dénonce Sarijit Singh Sandu,
représentant du syndicat des employés des transports, le Transport and
General Workers Union (TGWU).
Le mémo émettait cependant une réserve
prémonitoire : «la possibilité que le conflit s'étende au sein
d'Heathrow». Mais les bénéfices d'une telle manoeuvre semblaient valoir
le risque : «2,5 millions de livres de coûts de licenciements contre
6,5 millions de livres d'économies par an.» Une bonne affaire pour Gate
Gourmet, par ailleurs dans une situation financière difficile et qui a
déclaré l'an dernier plus de 26 millions de livres de pertes (38
millions d'euros). Détaillé, le mémo décrit une véritable guerre
psychologique envers les employés. Il précise la façon de les provoquer
à faire une grève sauvage, «leur dire que les temps ont changé, qu'ils
ne vont plus être autorisés à partir tôt, qu'ils ne pourront plus
fumer, boire ou manger dans les véhicules de livraison, que les heures
supplémentaires ne seront plus rémunérées». Une fois les employés
poussés à la faute, le même mémo insiste sur la façon de leur annoncer
leur licenciement : «Licencier immédiatement sans représentation
légale, confisquer passes, clés et papiers d'identité. Faire
accompagner chaque employé en dehors des locaux par des vigiles.»
Enfin, tandis que la société recrute discrètement des saisonniers, il
est recommandé de nier publiquement tout changement de pratiques
salariales : «Communiquer avec la presse et les syndicats et affirmer
la volonté de résoudre tout conflit. Prétendre
vouloir trouver une solution raisonnable.» Interrogé, un porte-parole
de Gate Gourmet a reconnu hier l'existence d'une telle stratégie mais
nie l'avoir mise en pratique la semaine dernière : «C'est en effet une
des stratégies conçues l'an dernier par notre équipe de management
[...], mais nous ne l'avons pas suivie.»
Malgré ces révélations, un porte-parole du TGWU ne se montre guère
optimiste : «En Grande-Bretagne, ce genre de stratégie de management
est légal. Il faudrait que nous ayons des preuves très solides pour
pouvoir les poursuivre pour licenciement abusif. Ce qui nous semble le
plus urgent est de faire en sorte que les employés licenciés retrouvent
leur travail.» Des négociations étaient toujours en cours hier soir.
Tiré de Libe.fr