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Journal d'un hot liner fou
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10 juin 2006

Portrait qui sort de tout ce que j'ai pu lire sur l'homme

La scène initiale, c'est un stade rempli d'hommes en colère, des tribunes baignées de bière, de sueur et de frites, un stade qui gronde dans le brouillard et crie son nom : «Domenech, assassin!» L'arène chavire et lui la défie. Moustache tombante, cheveux frisottés dans le cou, le regard noir du tueur. «Domenech, assassin!» Il les toise, épais comme une allumette mais la brindille est d'acier, campé devant la plus méchante des tribunes. Il s'échauffe. Il jongle, une fois, deux fois, le ballon s'élève. Il arme son tir. «Domenech, assassin!» Reprise de volée, terrible, droit sur les travées qui le conspuent. Les gueulards reculent, le ballon rebondit sur les grilles de protection. Simple avertissement. L'assassin repart trottiner. Trente ans ont passé, mais la source n'est pas tarie de la colère de Raymond Domenech. Plus de moustache, le cheveu court et blanchi, le ventre plat encore. Il est sélectionneur national, notable du foot, mais notable en sursis, critiqué, déstabilisé par les rumeurs, la presse, le doute. Fusillé par avance, si la défaite nous attend à la campagne d'Allemagne. La langue cadenassée face à l'adversité, tout en prudence, mais au fond, regardez bien bonnes gens, le feu couve toujours. Le même mec, en face de la foule qui le rejette. Habité par la certitude d'avoir raison, ou masquant l'angoisse par l'arrogance. Ne cédant rien, ne concédant pas un pouce, ce serait périr. Il y a trente ans, il sentait déjà tout. Un môme du Lyonnais prolo, de souche catalane, devenu footballeur l'année du bac. Un défenseur habité par son rôle, qui avait endossé, avec une jouissance gouailleuse, l'habit du méchant. Un malentendu au départ, une agression commise par un autre qu'on lui avait attribuée. Il avait assumé. Au fond, ça l'arrangeait. On parlait de lui. Et quand il jaillissait sur l'attaquant adverse, la bave aux lèvres et le poil luisant, le duel était déjà à moitié gagné. Théâtre que tout cela. Il poussait jusqu'à l'absurde la comédie de la violence. Les Lyonnais se souviennent d'une nuit stéphanoise, quand Domenech avait rendu ivre de rage le chaudron de Geoffroy-Guichard. Les meilleurs supporters de France s'étaient mués en horde sauvage, assiégeant les joueurs dans leur vestiaire... A côté, la brute était un intello. Au massage, il ne lisait pas « l'Equipe », mais des revues d'art ou « le Canard enchaîné ». Se vivait anar, habité par le foot, mais savait que la vie était plus large. Il se rêvait comédien. Il est devenu entraîneur, mais acteur également. Jouant Tchekhov, un soldat de la Grande Guerre ou un entraîneur assassin, puis revenant aux pelouses, à ses cahiers, à ses cours. Un technicien de la rigueur, mais également un médecin des âmes, cherchant un peu plus loin, voulant voler les secrets des hommes. Provocateur, ironique, amateur de second degré, persuadé un moment que l'astrologie était une clé... Il dissertait savamment, en rajoutant sans doute, sur le seuil de tolérance en matière de Scorpions dans une équipe ou sur la propension des défenseurs natifs du Lion à déserter leur poste pour gambader en attaque. Il était vivant, cela changeait. Aujourd'hui, il s'est mis l'agressivité en berne, distille de l'eau douceâtre en guise de commentaire. Il s'est pris trop de coups, pour une phrase de trop, un clin d'oeil malvenu. Parfois le feu rejaillit. Sur TF1, sacro-sainte télé du foot, il a brisé la porcelaine en exécutant un reportage à charge sur ses Bleus. Les amis de Raymond ont rugi d'aise devant leur poste. Enfin, Raymond était lui-même ! Leur copain est engagé dans une mission magnifique. Pas évident que ça le rende heureux. Domenech est un méconnu. Ses amis plaident pour lui. Par ce qu'ils racontent mais surtout pour ce qu'ils sont. Avec de tels potes, on n'est pas un salaud. Ainsi Jean-François Jodar, compère depuis la défense lyonnaise des années 1970, longtemps entraîneur des jeunes internationaux, prototype du coach humaniste, jamais résigné à la médiocrité des hommes... Ou Jean-Pierre Doly, un consultant en ressources humaines, rencontré en Argentine où, représentant de Danone, il organisait des tournois de foot pour les jeunes déshérités... Ou Stéphane Tournu-Rémi, étonnant saltimbanque, liant amour du foot et passion de la scène, inventeur de la compagnie du Trimaran, où Domenech s'illustrait jusqu'en 2004. « Tournu » organisait des ateliers de théâtre et d'écriture pour les jeunes bleus de Jodar et Domenech. Il anime aujourd'hui un spectacle itinérant, « Graine de supporters », pour désarmer chez les jeunes la haine du Noir, de l'homo, du faible, qui pollue les tribunes... Leur Raymond n'est pas cet autocrate coincé que les Français méconnaissent. Mais un mec en recherche, exécrant la banalité. De gauche spontanément, manifestant de l'entre-deux tours en 2002. Inquiet et curieux d'une France que ses joueurs représentent. Aujourd'hui, Domenech interroge Doly sur l'islam et son expérience à la Régie Renault, quand Jean-Pierre travaillait sur l'intégration des travailleurs immigrés. Son équipe témoigne d'une France qui se transforme. Reflet des banlieues noires, de l'islam devenu français... Portrait rose ? On peut le nuancer. Il a, aussi, la perversité des grands intelligents. Le goût excessif de la contradiction. Il pousse les autres pour voir ce qu'ils ont dans le ventre. Les faibles sont déstabilisés. Les susceptibles se lassent d'être pris pour des cons. Domenech n'est pas un tendre. Il a déboulonné Guy Roux de son syndicat des entraîneurs. Il connaît la politique et ses ressorts, ses habiletés, ses manoeuvres... Et les rapports de force. Il n'a pas été nommé sélectionneur sur ses seuls talents, mais par une logique d'appareil. C'est le « parti » qui l'a posé là : la direction technique nationale, avec à sa tête l'oracle Aimé Jacquet. La DTN, c'est à la fois l'ENA et le parti communiste des républiques soviétiques, le vrai pouvoir du football français. Elle structure la formation des entraîneurs et les sélections nationales. En 2002, après la débâcle coréenne, la DTN a perdu le poste de sélectionneur national, confié à Jacques Santini, coach venu des clubs. Santini s'est planté. Alors Jacquet s'est levé. A réclamé le poste pour les siens. Pour Domenech donc, coach des Espoirs, «le meilleur d'entre nous»... Deux ans plus tôt, Raymond s'était fait retoquer pour atypisme rédhibitoire. Cette fois, le poids de la DTN emporte les réticences. Et la dureté de Domenech, finalement, a ses avantages... Puisqu'il faut en finir avec la génération indépassable de 1998, casser les habitudes, ramener les héros décadents au rang de footballeurs... Domenech assassin ? Vas-y donc. Il avait son plan de longue date, sa révolution dans la tête. A peine nommé, il éradique l'encadrement de l'équipe de France, du cuistot au toubib, et même le grand intendant Henri Emile, confident des joueurs, maire du palais bleu. Tous lui en veulent. Domenech et son esprit de contradiction légendaire, son obsession à se démarquer. Il accumule des ennemis. Mais sa prise de pouvoir n'est pas totale. Il voudrait prendre Jean-François Jodar comme adjoint. On le lui refuse. Il embarquerait volontiers dans l'aventure Stéphane Tournu-Rémi, comme animateur du groupe. Cela ne se fera pas. Il est le coach, mais sa liberté est limitée par la dimension du poste, sur lequel convergent trop d'intérêts. Il a pourtant sa fenêtre de tir. Une parenthèse enchantée, pleine de doutes et de désarroi. Quand Desailly prend sa retraite, quand Zidane, Thuram, Lizarazu s'éclipsent. Un instant de possible, où il ferait grimper ses jeunes. Modeler une équipe à son image, rigoureuse mais fluide, où l'on pratiquerait la dynamique de groupe, la parole libre... Génération Domenech ? La parenthèse ne dure pas un an. Les jeunes joueurs ne sont pas encore à la hauteur des défis internationaux. Raymond a été nommé trop tôt. Les matches nuls s'enquillent, l'équipe balbutie, le public, la presse, les médias se crispent... Alors tout se retourne. Domenech, l'homme différent, devient tricard. Son originalité est soudain une tare. On murmure, on échote. On lui brosse un portrait d'autocrate verbeux. Robert Pires, écarté parce qu'insuffisant, devient un martyr médiatique. Et quand Zidane revient, à l'été 2005, les observateurs glosent sur « l'humiliation » de Domenech, qui doit récupérer des vétérans dont il ne voulait plus. Vrai ou faux ? L'homme est assez politique pour avoir lui-même changé de ligne, afin d'assurer l'avenir immédiat. «Je vais faire revenir Zidane, j'y travaille», disait-il à son copain Jodar quelques semaines avant l'annonce officielle du retour de Zizou. C'est l'histoire de la gauche quand elle prend le pouvoir. On veut faire la révolution, puis c'est le tournant de la rigueur, on lutte contre l'inflation et Thuram sera défenseur central dans un 4-4-2 des familles ! L'important est de survivre, avant de rejaillir. Domenech mène sa barque, perd un peu de terrain, mais résiste. Mine de rien, il a amené ses Bleus aux thérapies verbales qu'il souhaitait. Son équipe sent le classique. Mais il a conservé quelques espaces de liberté, des choix qui n'appartiennent qu'à lui : Givet, un défenseur solide, de son école ; Dhorasoo, intello déconcertant, dont les escapades progressistes rappellent Raymond et font oublier, parfois, qu'il est d'abord, avant tout, un joueur empreint d'espièglerie ; Chibonda, arrière latéral et surprise du chef, mais aussi, l'an dernier, victime emblématique du racisme des stades... Domenech se ressemble toujours. Il avance. Seul son rapport avec les médias est irrémédiablement biaisé. On se connaît trop, trop bien, trop mal. Que sa compagne, Estelle Denis, soit la madame football de M6 n'arrange rien. Domenech le révolté s'autorise des facilités qui le piègent (cf. encadré). A Lyon, il se murmure qu'Estelle a oeuvré pour que Coupet soit évincé au profit de Barthez. On l'aurait vue donnant un coup de coude à son homme pour souligner un arrêt spectaculaire du divin chauve ! Bêtises. Mais on l'entend. Cela mine. Evidemment, il suffira d'une victoire contre la Suisse, mardi, et tout sera effacé. On verra alors que le révolutionnaire Domenech a concocté une équipe formatée pour plaire à l'opinion, rassurante par sa défense et Zizou, émouvante grâce à Ribéry, la joie de vivre en un chti incarné, un cadeau offert au peuple. C'est bien pensé, ça va marcher. Michel Audiard était génial, mais n'avait pas toujours raison : «Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît», écrivait-il dans « les Tontons flingueurs ». Raymond Domenech est très intelligent. Claude Askolovitch
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