Dette... 2 ou la croissance par l'endettement
Pour une croissance plus dynamique,
les Français doivent-ils s’endetter
plus ? Pour la Banque de France,
qui, de manière générale, n’aime pas la
dette – qu’il s’agisse de celle des Etats ou
de celle des particuliers – cela ne fait pas
de doute. La réponse est non.
Dans son dernier bulletin mensuel,
publié lundi 26 décembre, elle s’alarme
que l’endettement des Français ait dépassé,
à la mi-2005, le niveau sans précédent
de 62 %de leur revenu disponible, contre
près de 40 %en Italie et 100 %en Allemagne.
Soit une augmentation, en l’espace
de dix ans, de plus de 13 points, dont
5 points depuis fin 2003.
Nombre d’éléments ont concouru à cette
hausse : des taux d’intérêt très bas, des
banques moins exigeantes, mais aussi des
incitations fiscales mises en place par
Nicolas Sarkozy, quand il était ministre
de l’économie, pour favoriser le crédit à la
consommation. Dans ce contexte, les
Français ont puisé dans leurs économies.
Le taux d’épargne, qui était encore supérieur
à 17 %il y a quelques années, a baissé
pour atteindre aujourd’hui 15,6 %.
« Bercy est très favorable à la poursuite
de cet endettement des ménages, avec l’idée
saugrenue que l’on aurait une marge de
manoeuvre pour endetter nos ménages »,
regrette un dirigeant de la Banque de
France, où l’on pointe que le nombre de
dossiers présentés aux commissions de
surendettement a plus que doublé
entre 1995 et 2002, et qu’il a encore progressé
de plus de 30 % entre 2002 et
2004.
Dans son bulletin mensuel, l’institut
d’émission se félicite de « l’absence, en
France, d’un dispositif juridique d’hypothèque
rechargeable », qui permet à un propriétaire
endetté, au fur et à mesure qu’il
rembourse son emprunt immobilier, de
contracter de nouveaux emprunts, assis
sur la valeur de son bien et non pas sur ses
revenus.
Ce mécanisme, s’il
devait voir le jour en France,
affirme la Banque de France,
aurait « un effet significatif
sur la distribution du crédit,
notamment en direction de
populations qui en sont actuellement
écartées ».
Or, c’est justement ce que
compte faire le gouvernement
: il travaille à la mise en
place, au printemps 2006, d’un prêt hypothécaire
rechargeable (Le Monde du
27 décembre). « On s’expose à des chocs, en
cas de retournement des prix de l’immobilier
ou de hausse des taux d’intérêt », crainton
à la Banque de France, qui cite l’exemple
de la Hollande, où « l’éclatement de la
bulle immobilière est à l’origine des mauvaises
performances de la croissance ces dernières
années ».
« C’est pour cela que nous avons adopté
une solution prudente, explique-t-on à Bercy,
au fur et à mesure que l’emprunteur remboursera
son crédit immobilier initial, il
pourra souscrire à de nouveaux emprunts.
Mais seulement à hauteur de ce qu’il a remboursé,
pas à hauteur de ce que vaudra alors
son bien. »
« La croissance française se fait à crédit,
s’emporte un dirigeant de la Banque de
France, ses moteurs ne sont pas sains. Elle
est tirée par la consommation, tandis que les
déséquilibres externes se sont gravement
détériorés : nous sommes passés d’un excédent
externe de plus de 2 % du produit intérieur
brut (PIB), à notre entrée dans l’euro,
à un déficit de même ampleur aujourd’hui.
Nombre d’économistes sont d’un avis
contraire. C’est bien parce que la consommation
est le moteur exclusif d’une croissance
peu dynamique qu’il faut la soutenir,
jugent-ils. Et ce, d’autant plus que plusieurs
mécanismes de soutien à la
consommation arrivent à expiration.
« Les effets de richesse sur la consommation
devraient s’estomper en raison de la stabilisation
attendue du marché de l’immobilier
», note ainsi Laure Maillard, économiste
chez Ixis CIB. Les propriétaires,
dont les biens se
sont fortement valorisés ces
dernières années, se sont
sentis plus riches. Un effet
purement psychologique
qui les a poussés à dépenser
plus.
Qui plus est, les mesures
exceptionnelles, comme le
déblocage anticipé des plans
d’épargne salariale, ne devraient pas être
reconduites. Enfin, l’harmonisation des
smic, qu’avait rendue nécessaire la mise
en place des 35 heures et qui s’était traduite
par des hausses du salaire minimum,
s’est achevée en 2005.
« Aquelques mois des élections, le gouvernement
devait faire quelque chose. Cela dit,
alors qu’un rebond se dessine, ce n’est pas
mal », estime Philippe d’Arvisenet, économiste
à la BNP Paribas.
Qui met en garde
: « Il ne faudrait pas que la hausse des
achats de biens durables par crédit, que
pourrait autoriser le prêt hypothécaire
rechargeable, entraîne une hausse des
importations de ces biens. » Dans ce cas, le
surplus de consommation ne créerait pas
de la croissance, au contraire.
Au ministère de l’économie, on estime
que la mise en place du prêt hypothécaire
ne répond pas seulement à une logique
conjoncturelle. Et ce, d’autant que l’accélération
des salaires et la maîtrise de l’inflation
gonflent le pouvoir d’achat des
Français. Il a augmenté de 1,6 % en 2004
et devrait afficher une hausse de 1,9 % en
2005 et de plus de 2 % en 2006, selon
l’Insee.
Plus fondamentalement, au ministère
de l’économie, on considère qu’aujourd’hui,
« les ménages ne profitent pas suffisamment
de leur patrimoine. Et qu’un
recours plus grand au crédit leur permettrait
de mieux lisser leur consommation sur l’ensemble
de leur vie ».
Encore faudrait-il que les mentalités
évoluent, dans un pays où le taux d’épargne
est traditionnellement élevé et le
recours au crédit limité. Et que les réseaux
bancaires français,connus pour leur frilosité,
soient un peu plus audacieux…
Tiré du Monde du 27 Déc05